La transition : mission impossible ?
Le livre de Jean-Baptiste Fressoz, Sans transition, doit nous faire réfléchir
Il y a quelques jours est sorti un livre très important de l’historien Jean-Baptiste Fressoz, qui propose une relecture originale de l’histoire des systèmes énergétiques et du concept de transition. Je voudrais livrer ici une première série de réactions, qui ne pourront pas rendre justice à l’impressionnant travail empirique sur lequel repose l’argument de l’auteur, mais qui visent plutôt à discuter sa dimension normative. En effet, le livre se présente comme un réquisitoire extrêmement radical contre l’idée même de transition énergétique et met l’histoire au service d’un argument profondément politique. L’auteur ne cache pas ses intentions, et je n’entends pas ici remettre en question cette dimension argumentative de l’histoire: au contraire, c’est l’occasion parfaite pour réfléchir à une notion devenue omniprésente, et qui est souvent utilisée de façon superficielle. Avant toute chose, on peut donc saluer J.-B. Fressoz pour son travail de mise en garde, qui donne aux sciences sociales une prise efficace sur le débat public.
Ce livre est amené à connaître un grand succès et à jouer un rôle important dans le débat sur la transition écologique. Il sera certainement lu comme un texte de référence par de nombreux acteurs de ce débat qui nourrissent un scepticisme à l’égard de discours trop triomphalistes ou optimistes concernant la possibilité de décarboner l’économie mondiale dans un délai raisonnable, à coups d’innovation technologique ou de réorganisations sociales. Fressoz invoque la lucidité et la rigueur des faits pour nous défaire de nos illusions, mais le contexte dans lequel arrive son livre, marqué par le développement des arguments visant l’écologie pour son coût social ou les sacrifices qu’elle demande, est singulier. Comment en effet concilier cette critique conduite par un auteur écologiste avec la nécessité stratégique de rassembler une large partie de la population dans un projet qui ne soit pas vu comme entièrement négatif ? Comment le réalisme sombre de Fressoz peut-il résister aux lectures fatalistes qu’il déclenchera peut-être ? Comment faire en sorte que la critique de la transition et de ses acteurs ne tombe pas dans l’escarcelle des tenants du statu quo ?
Déconstruire la transition
Sans transition est construit en deux parties assez distinctes par leur contenu, et l’habileté de l’auteur consiste à les agencer ensemble pour produire son effet critique.
L’histoire déphasée
La première est une histoire de ce que l’auteur appelle les symbioses énergétiques. Fressoz part d’un débat assez technique au sein de l’histoire de l’énergie, qui divise les partisans d’une représentation “phasiste” (un âge du bois, un âge du charbon, un âge du pétrole, etc. jusqu’à un hypothétique âge des renouvelables) et les partisans d’une vision plus complexe, attentive à la persistance des techniques et des ressources du passé qui continuent à structurer le présent. Ainsi, grâce à un remarquable travail empirique, l’auteur peut montrer que le bois a été un matériau critique de la modernité industrielle (souvent assimilée, par ses acteurs mêmes, au charbon). On retrouve en effet le bois notamment comme étai dans les mines et comme traverse de chemin de fer, mais aussi comme matériau de construction, et l’avènement du charbon a stimulé son exploitation plus qu’il ne l’a soulagée. Le même raisonnement indique que le pétrole s’est ajouté, plutôt que substitué, au charbon (et encore au bois pour un moment).
Fressoz explique p. 28, avec d’excellents appuis visuels, que ces deux conceptions de l’évolution technique sont liées pour la première à une représentation en valeurs relatives du poids des énergies (et de ce point de vue, l’arrivée du charbon fait l’effet d’une forte vague à partir du milieu du 19e siècle, puis le pétrole au 20e siècle), et pour la seconde en valeurs absolues (et dans ce cas on voit mieux le bois persister sous le charbon et le charbon sous le pétrole). Fressoz indique que la mesure en valeurs absolue est un indicateur plus important que les valeurs relatives: d’un point de vue environnemental et climatique en effet, ce sont celles qui permettent de comprendre la pression écologique réelle de nos forces productives, alors que les valeurs relatives donnent l’illusion d’une série de substitutions.
C’est là qu’intervient une première question. Fressoz organise la confrontation entre valeurs absolues et valeurs relatives de façon assez positiviste: l’une est déclarée supérieure à l’autre, et on comprend les raisons de ce choix. Mais la raison pour laquelle l’utilisation des valeurs relatives est devenue importante, voire hégémonique, n’est pas donnée ou véritablement discutée. De manière générale dans le livre, “l’ennemi” n’a aucune chance : Fressoz qualifie généralement d’erreurs les choix analytiques différents des siens et c’est ce qui lui permet d’avancer dans son raisonnement. Mais en l’occurrence, la représentation du système énergétique en valeurs relative n’a rien d’arbitraire : elle va de pair avec l’idée selon laquelle ce qui importe le plus dans le système économique est la frontière de l’innovation, ce qui vient perturber l’ordre des choses, ce qui prend subitement un intérêt stratégique par contraste avec des marchés et des pratiques sociales déjà installés. De ce point de vue, l’émergence du charbon, même si elle ne provoque pas de substitution par rapport au bois, est difficile à sous estimer: avoir et exploiter du charbon, c’est faire la différence avec d’autres régions ou pays, c’est produire un écart de développement, de puissance, qui même s’il n’est que relatif, a une signification politique essentielle. Autrement dit, on pourrait tout à fait demander à Fressoz comment équilibrer, ou rendre symétriques, son intérêt légitime pour les valeurs absolues, et l’importance effective des valeurs relatives dans l’histoire réelle (et pas seulement dans les représentations après coup qu’en donnent les historiens).
Avant d’en venir à la seconde partie du livre, on peut s’arrêter un instant sur la conclusion abrupte tirée par l’auteur de ce qu’il semble considérer comme une “loi” historique. On lit p. 30-31: “L’impératif climatique ne commande pas une nouvelle transition énergétique, mais oblige à opérer, volontairement, une énorme autoamputation énergétique: se défaire en quatre décennies de la part de l’énergie mondiale - plus des 3/4 - issue des fossiles”. Ici on voit bien que la loi de l’addition (contre la croyance dans la substitution) est convertie en leçon politique : ce qu’on doit aux fossiles, il faut le retrancher, et non le remplacer. Ici il y a une possible équivoque de langage: on peut soit considérer que cette “autoamputation” renvoie à la nécessité d’arrêter le fonctionnement d’infrastructures fossiles existantes et rentables (question des stranded assets), soit qu’il faille tout simplement se passer du volume d’énergie brut produit par les fossiles. Or il semble bien que Fressoz ait en tête la seconde signification, ce qui est assez largement en contradiction avec des scénarios pourtant mesurés (ADEME, IRENA, GIEC) qui indiquent qu’une partie au moins de substitution (à côté des gains d’efficacité et bien sûr de sobriété) soit possible. A discuter, donc.
La transition, quelle transition ?
Muni d’un lourd dossier historique qui semble condamner toute idée de transition ayant un véritable sens écologique, Fressoz doit logiquement demander dans un second temps comment cette idée a pu néanmoins s’imposer comme “un futur normal et consensuel” (p. 202). Il bascule alors de l’histoire des techniques à l’histoire des idées, dans une série de quatre chapitres passionnants qui reconstituent l’histoire de la notion de transition énergétique et des acteurs clés qui en ont été les avocats.
Avant de les décrire brièvement, il faut faire un point sémantique et conceptuel. Dans l’ensemble du livre, Fressoz nomme “transition énergétique” une stratégie consistant à substituer une énergie à une autre. Je n’ai pas repéré dans le livre d’autres acceptions de cette expression, et l’idée ressort nettement dans le dernier chapitre, “La carte technologique”, qui traite explicitement du discours de substitution par l’innovation technologique à consommation constante. On pourrait faire le reproche à Fressoz d’avoir une acception étroite de la notion, mais au vu de son dossier historique, il semble que ce soit bel et bien de cette manière que le discours sur la transition en général se soit construit : comme un outil de désinhibition, pour reprendre les termes de son précédent livre L’apocalypse joyeuse, qui permet de se rassurer sur la capacité à sortir de l’impasse par la technique. Par contre, et c’est là qu’un éventuel décalage peut apparaitre entre l’analyse conduite dans Sans transition et les conclusions que porte le livre, cette expression connaît aujourd’hui des acceptions très différentes. On parle couramment de transition pour désigner des mécanismes de réorganisation sociale fondés sur l’efficacité, la sobriété, et bien sûr le passage aux renouvelables. Le sens du terme change donc à travers l’histoire, et il ne va pas soi d’affirmer par exemple que la transition “a accompagné la procrastination générale, et elle continue de le faire” (p. 319). Que cela ait été le cas, je pense que Fressoz le démontre assez bien, que cela soit encore le cas, cela ne serait démontré que si le changement d’usage de cet terme avait également été étudié. Mais nous y reviendrons.
L’histoire du concept de transition énergétique se déroule en quatre étapes. Dans la première, Fressoz s’intéresse à un collectif d’ingénieurs américains de l’entre deux guerres, les “technocrates”, qui semblent fournir le personnel intellectuel et les outils d’analyse plus tard utilisés dans la modélisation du futur énergétique. Fressoz donne quelques éléments sur le mouvement technocratique (sur Veblen en particulier, que j’avais également étudié dans Abondance et liberté dans une perspective quasiment diamétralement opposée), qu’il comprend comme une tentative de reconstruire l’ordre social sur la base de l’utilisation optimale de l’énergie. L’acteur clé de ce chapitre est Marion King Hubbert, le célèbre introducteur de la théorie du “pic” pétrolier. A mon sens, il y a un décalage important entre les objectifs politiques du mouvement technocratique tel que l’avait conçu Veblen (ainsi que des erreurs de lecture p. 207 et 208) et l’émergence de la modélisation énergétique. Néanmoins, on comprend la continuité tracée entre M. K. Hubbert et la suite du propos du livre.
La seconde étape est centrée sur le personnage de Harrison Brown, qui introduit la notion de transition énergétique dans un contexte où les ingénieurs de l’atome conçoivent une émancipation totale à l’égard de l’énergie comme facteur limitant pour la société. Fressoz donne alors une version assez provocatrice de l’histoire bien connue des rapports entre les sciences et techniques atomiques durant la guerre froide et l’émergence du problème climatique (on la lit dans les travaux de Naomi Oreskes et Jacob Hamblin notamment). La doxa historiographique s’accorde sur le fait que la paranoïa de guerre froide a stimulé l’investissement dans la recherche atomique, et que l’une des conséquences latérales de ces recherches est l’étude des grands mécanismes du système terre (pour anticiper un éventuel hiver nucléaire, ou pour identifier les radio-isotopes émis par d’éventuels essais nucléaires russes). Mais Fressoz va plus loin et affirme, ou suggère, que ce lien entre l’atome et le climat n’est pas seulement l’effet contingent de la “big science” américaine: il indique qu’il a existé, au sein de l’élite scientifique US, des acteurs influents qui avaient “des motifs plus “intéressés” liés à la promotion de l’atome” (p. 244). Exemples à l’appui, il parle d’un “lobby nucléaire” (245) impliqué dans les premières alertes climatiques, le cas le plus célèbre étant Edward Teller. Ce chapitre est assez caractéristique des difficultés d’interprétation du livre en général: Fressoz n’indique jamais les rasons pour lesquelles il définit ces scientifiques comme des acteurs mus par des raisons externes à celle de la découverte (pourquoi un savant atomique ne pourrait-il pas être de bonne foi ?), ou pourquoi l’élément “atomique” de cette histoire devrait être considéré comme donnant à l’alerte climatique une dimension d’inauthenticité, ou un caractère stratégique. Certainement, un historien qui dépeindrait ces acteurs comme des héros de la vérité tomberait dans le défaut inverse de la naiveté glorificatrice, mais quelles sont les raisons exactes pour lesquelles on parle ici de “lobby” ou d’intéressement ? Quelle serait une science parfaitement désintéressée ? Manifestement, Fressoz attribue au monde de l’atome un statut d’exception épistémo-politique, comme si le rapport au pouvoir de ces savoirs les rendaient inévitablement suspect. C’est une hypothèse qu’on peut estimer valable, mais qui doit être mise au clair. Pourquoi ne s’explique-t-il pas de façon plus directe ce qu’il considère manifestement comme une vérité mise en avant pour de mauvaises raisons ? En l’absence de ces explications, le lecteur en est réduit à des suppositions.
Le chapitre suivant a pour personnage principal Cesare Marchetti. Dans le contexte de la crise pétrolière et des alertes environnementales du début des années 1970, c’est lui qui poursuit la légitimation du discours sur la transition énergétique. On navigue donc encore ici dans les sphères relativement obscures de la prospective énergétique, où les courbes en valeur relatives ont le vent en poupe.
Le dernier chapitre concentre encore plus les difficultés d’interprétation du livre mentionnées plus haut. C’est en effet, et de loin, le plus provocateur. Ce chapitre étudie de façon conjointe l’émergence de la rationalisation économique du problème climatique (et donc l’oeuvre de Nordhaus, à la façon du livre de A. Pottier), la construction du discours officiel du groupe de travail n°3 du GIEC sur la transition, et la consolidation sous l’effet du militantisme des intérêts fossiles d’un choix de l’adaptation. Le chapitre est comme tous les autres intéressant et abondamment documenté, mais fait encore défaut l’explicitation du rapport entre ces éléments empiriques et l’opération normative qu’ils doivent soutenir. Fressoz décrit en effet les forces qui, ensemble, contribuent à relativiser et à remettre à plus tard la question climatique, et comme c’est le cas d’autres auteurs contemporains (comme par exemple E. Morena dans Fin du monde et petits fours) il explique que leur stratégie a consisté à occuper le terrain de la science et de la prospective climatique plutôt que de la laisser aux autres. Mais rien n’est dit dans le livre sur la structuration historique et politique de la confrontation entre ces intérêts et ces formes de savoir et d’autres, qui ont tenté (sans succès il est vrai) d’introduire un avenir alternatif. Le lecteur est laissé avec l’impression que le discours de substitution a gagné le statut d’hypothèse légitime quant à l’avenir sans rencontrer d’épreuves ou de résistances, sans incertitudes, sans non plus qu’il ait trouvé d’alliés auprès des demandes collectives.
Fatalisme et volontarisme
Dans Abondance et liberté, j’avais tenté de montrer que la grande difficulté du problème écologique et climatique tient au fait que la prise en compte des limites planétaires se heurte à des conceptions et des pratiques sociales profondément ancrées, à des attentes d’émancipation socio-économiques, et bien sûr à des attentes de développement matériel. Autrement dit, je présentais l’enjeu climatique comme une contradiction interne au projet de modernisation politique et économique, une contradiction qui ne met pas aux prises un monde néfaste des fossiles et un monde lucide de l’écologie, mais un conflit de la structure de projection collective dans l’avenir (y compris et surtout populaire) avec elle-même. De la lecture de Sans transition, on ressort avec une image totalement opposée: faute d’éléments réflexifs plus détaillés, on doit penser que la course à la catastrophe serait la conséquence d’un activisme des élites techniques et scientifiques pour faire avaler à la majorité un mode développement insoutenable, puis dans un second temps une voie de sortie acceptable mais irréaliste (Fressoz a d’ailleurs une précaution rhétorique sur ce point p. 319, mais trop rapide : “la transition n’est évidemment pas la cause de la résignation climatique, elle n’en est que sa justification” - or ce “évidemment” n’est pas discuté dans le livre). L’essentiel de mes difficultés à comprendre le livre tient à cette différence: si Fressoz veut réellement construire une histoire de l’irréversibilité fossile et de la désinhibition énergétique par les renouvelables, il faut inclure l’histoire des demandes sociales de développement. Si par contre le livre est, de façon un peu plus modeste (ce qu’il est en réalité à mon sens), une histoire du discours officiel sur la transition dans les milieux d’expertise technique, alors les conclusions normatives qui en découlent sont peut-être insuffisamment soutenues, ou trop implicites.
Le sens du livre est manifeste, et défendable: il nous pousse à nous demander pourquoi la question de la décroissance, ou du moins de la soustraction de forces productives devant l’alerte écologique n’a jamais été mise sur la table, ou prise au sérieux. La dernière page du livre le dit clairement, et il me semble que sur ce point Fressoz a fait le travail de démonstration: “La puissance de séduction de la transition est immense: nous avons tous besoin de basculements futurs pour justifier la procrastination présente” (p. 333). C’est une magnifique et puissante punchline. Encore une fois, on regrette que le livre n’ait pas inclus l’histoire de la demande inverse de réduction, bien réelle, et les raisons pour lesquelles elle a été vaincue ou pour lesquelles elle n’a pas pris racine dans la société. En réalité, Fressoz écrit depuis ce point de vue du vaincu, il endosse cette position d’énonciation à titre d’outil heuristique - au point qu’il ne s’interroge pas lui-même sur les raisons pour lesquelles cela s’est produit. Un peu plus haut dans la même page, on lit : “La transition est l’idéologie du capital au 21e siècle” - phrase tout aussi spectaculaire, mais beaucoup plus difficile à démontrer. En effet, on parle aujourd’hui de transition d’une façon entièrement différente des années 1950 ou 1970: il est question d’efficacité, de sobriété, de substitution, d’intervention de l’Etat voire de planification, de mécanismes redistributifs, de lutte contre les fossiles, il existe des lobbys sociaux qui se battent contre des intérêts énergétiques (en tant qu’historien, Fressoz aurait pu noter que cet élément central de la vie politique du 21e siècle est absente du passé). Il y a donc une multiplicité de compréhensions politiques de la transition, et en face d’elles une idéologie bien résistante du capital comme perpétuation du développement fossile. Autrement dit le jeu économique et politique dans lequel on se trouve n’est pas “transition contre décroissance”, mais plutôt “transition faible contre transition forte (non nécessairememnt capitaliste) contre décroissance”.
Dans une page surprenante de la conclusion, Fressoz affirme que, si les tenants du technosolutionisme climatique sont irresponsables, “les postures normatives qui règnent en sciences sociales sur le climat sont bien plus ridicules encore”, et il prend comme exemple de ce ridicule les études sur les “coalitions “post-carbone”” (p. 332). Technosolutionisme et socio-solutionisme, si l’on peut dire, sont renvoyés dos à dos, certainement parce que l’on comme l’autre (on est ici réduit à des hypothèses interprétatives, mais l’enjeu est tellement énorme qu’il faut le faire…) ont le défaut de ne faire aucune place à l’hypothèse de l’autoamputation envisagée dans l’introduction. Fressoz ne dévoile pas totalement son point de vue épistémologique et normatif, qui est certainement celui de la décroissance, pourtant tout le livre peut se résumer sous cet angle: nous n’avons jamais fait l’hypothèse décroissante, et c’est pourtant la seule chose qui reste à faire contre toutes les stratégies de déni ou de désinhibition. Peut-être est-ce vrai, mais nulle part dans le livre ce point de vue d’écriture et de pensée n’est explicité. Nulle part dans le livre l’auteur ne se confronte avec les difficultés propres à cette hypothèse (qui est estimable et productive, mais encore une fois qui reste dans les coulisses de la pensée).
C’est la raison pour laquelle le sentiment principal qui se dégage de la lecture du livre est un certain fatalisme (et l’auteur le confesse p. 332 en affirmant n’avoir aucune martingale ou utopie verte à proposer). On peut difficilement lui en faire reproche, mais on peut aussi difficilement s’empêcher de penser que le fatalisme est avant tout un élément structurant du livre, où très peu voire aucune place n’est faite à la conflictualité sociale et à la contestation des futurs possibles.
Je pense que le choix de rendre compte d'une histoire du scénario dominant est totalement assumé parce que la critique décroissante me semble déjà bien écrite notamment par Jarrige et Vrignon dans Face à la puissance, dans lequel il a fait paraître une étude de cas sur la lumière. Par ailleurs Jarrige a participé à la relecture de son livre. Et en ce qui concerne les questions climatiques et leur contestation, elle me semble bien documenté aussi dans le gouvernement des technosciences dirigé par Dominique Pestre.
L'auteur aurait pu citer Jevons "Sur la question du charbon" qui date de 1865